Les équilibres macroéconomiques sont fragiles tant que persisteront les déficits interne (budgétaire) et externe (balance des paiements). D’ailleurs, la première priorité de l’action gouvernementale est de s’attaquer à ces déficits en mettant en œuvre simultanément plusieurs actions. Le poids de la dette publique, la poussée inflationniste et la préoccupation de préserver le niveau des réserves de change sont source de préoccupation. En premier lieu, la situation des finances publiques, tant dans son volet dépenses que recettes, révèle déjà la faible marge de manœuvre.
Selon les Institutions financières internationales, le taux d’endettement de la Tunisie est autour de 100% du PIB en 2021. Il était à peine à 40% en 2011. L’analyse de l’endettement public de la Tunisie, intérieur et extérieur, depuis 1986 jusqu’à nos jours montre que l’encours de la dette a explosé passant de 4 milliards à plus de 100 milliards de dinars.
En effet, «après la crise économique et le plan d’ajustement structurel de la fin des années 1980, le quotient Dette/PIB a sensiblement baissé, notamment, grâce à une augmentation du PIB, atteignant les 40,7 % en 2010. Depuis 2010, c’est l’augmentation en flèche du ratio Dette/PIB qui peut susciter de l’inquiétude », précise Mohamed Haddad, fondateur de l’organisation Barr al Aman Research Media, dans une étude sur la « Cartographie de la dette publique extérieure tunisienne ».
Hausse de la part de la dette intérieure
Autant dire qu’après l’accélération de l’endettement, « il est attendu que les échéances de remboursement se rapprochent et se succèdent ». Pour l’année 2022, et selon les résultats provisoires de l’exécution du budget de l’État à fin novembre 2022, « la dette publique s’élève à 102,8 Mrds de dinars, en hausse de 10,5% par rapport à 2020 et de 23,4% par rapport à 2019. La part de la dette intérieure (en dinars et en devises) est passée de 29,7% en 2019 à 39,9% à fin 2021, alors que le poids de la dette extérieure a reculé de 70,3% en 2019 à 60,1% en 2021 », indique Moez Hadidane en se référant au diagnostic de la structure de la dette publique sur le marché financier international élaboré par le bureau d’étude et de formation professionnelle Tera Training. Et d’ajouter que « les budgets de l’Etat pour les années 2021 et 2022 supposent des financements extérieurs respectivement de 12,15 Mrds de dinars (LFC 2021) et 12,7 Mrds de dinars (LF2022). Mais le retard de l’Etat à concrétiser un programme de réformes avec le FMI a entraîné des ajournements dans les décaissements des fonds des créanciers officiels par rapport au calendrier budgétaire contraignant les autorités gouvernementales à compenser le faible financement extérieur net en empruntant massivement auprès de sources nationales ».
Selon le même diagnostic, la Tunisie devrait rembourser à la mi-avril 2022 la dernière tranche du placement privé qatari pour un montant de 250 millions de dollars, soit l’équivalent de 740 millions de dinars ainsi qu’un montant de 25 Mrds de yens japonais soit 619 millions de dinars au titre d’un emprunt obligataire mobilisé en 2012 et assorti de la garantie de la Jica.
Dans l’étape à venir, la Tunisie doit rembourser, d’ici 2033, une enveloppe de 40,7 Mrds de dinars, avec des pics de plus de 6 Mrds de dinars en 2023 et 2024. En devises, c’est l’année 2024 qui sera la plus délicate.
En somme, à partir de ce mois et jusqu’à la fin de l’année, « l’Etat doit rembourser, sur le marché financier local et international, une enveloppe de 8.140 millions de dinars toutes catégories de titres de dettes confondues et 4 457 millions de dinars, compte non tenu des bons de trésor de court terme. Ces montants intègrent l’obligation de remboursement, à partir de décembre 2022, par le gouvernement de la première tranche (703 millions de dinars) de l’avance de la BCT au trésor, mobilisée en décembre 2020 sur autorisation du parlement pour un montant global de 2 810 millions de dinars, dont la durée de remboursement est de cinq ans avec une année de grâce », souligne Hadidane.
Des pistes hors des sentiers battus
Dans le même contexte, l’analyste financier Bassem Ennaifer a indiqué que la Tunisie a emprunté au total près de 12 milliards de dinars auprès du FMI, de la Banque mondiale ainsi que de l’Union européenne. Et d’affirmer que « l’augmentation de la dette en plus de l’application de délais de remboursement plus courts aura des conséquences sur la situation financière de la Tunisie, et ce, sur la période des 5 prochaines années ». L’analyste financier a expliqué de même que « l’année 2022 serait la moins difficile, compte tenu du fait que le pays n’a qu’une dette de deux milliards de dinars à rembourser, soulignant que les souscriptions aux bons de trésorerie les plus importants sont effectuées sur les lignes des années 2027 et 2028 ».Des dettes de plus en plus volumineuses, des échéances de remboursement de plus en plus rapprochées, une situation qui pourrait atteindre le point de rupture. Car « la dette n’est pas seulement cet encours qui pèse sur les finances publiques et qui s’abat à chaque échéance de plus en plus fort. C’est aussi toutes ces dépenses d’investissement et de développement que l’Etat n’a pas réalisées dans des régions ou des espaces qui souffrent souvent de marginalité et de déshérence. La baisse des dépenses de l’Etat est souvent présentée comme la solution pour rétablir l’équilibre des comptes », affirme Haddad. Et de réaffirmer que « la situation de blocage que vit le pays ne se résoudra pas à coup de petites réformes. Il nous semble qu’il est intéressant de chercher des pistes hors des sentiers battus ».